Le mouvement de pédalage

Jacques Fine. Janvier 2014
Complété en 2019 et en décembre 2021
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Le mouvement de pédalage a fait l'objet d'un grand nombre d'analyses. La très grande majorité de ces analyses sont du domaine de la bio-mécanique : elles analysent la façon dont les muscles des jambes travaillent afin de fournir une force sur les pédales permettant d'engendrer un mouvement circulaire du pédalier.
Très sommairement, il est classique de distinguer quatre phases dans le mouvement de la jambe :

FIGURE INTROUVABLE

            Fig.1. Les 4 phases du pédalage                   Fig.2. Composantes de l'effort exercé sur la pédale

Au cours de ces phases, le pied exerce un effort P qui varie lors de la rotation de la manivelle. La force qui va faire tourner le plateau est la composante F dite « tangentielle » de la force exercée par le pied : c'est cette composante seule qui compte. La composante radiale R dirigée suivant la direction de la manivelle ne sert à rien. Un bon pédalage doit être tel que cette force R soit très faible, sinon nulle.
La force F exercée sur la manivelle crée un couple. On rappellera que ce couple C est égal à :

C=m F
m étant la longueur de la manivelle (comprise généralement entre 170 et 185 mm).

Dans le système d'unités légal, la force s'exprime en Newton (1 Newton=9.81 kg) et le couple s'exprime en newton-mètre, soit N-m.
Si l'on connaît la valeur de C, on en déduit la valeur de F en divisant par la longueur de la manivelle et réciproquement. On peut donc interpréter les résultats soit en terme de couple, soit en terme de force puisque l'on passe aisément de l'un à l'autre. Dans ce document, nous parlerons surtout de couple.

Le diagramme de pédalage

La force F ou le couple C sont des données personnelles de chaque cycliste. Pour les connaître, il faut effectuer des mesures en instrumentant le vélo. Cela peut se faire en équipant le vélo d'un capteur dit « capteur de puissance » du type SRM ou d'autres dispositifs. Le capteur SRM se place dans le pédalier lui-même et mesure le couple exercé sur le plateau.
Le capteur SRM permet d'enregistrer la valeur du couple en fonction du temps, puis de tracer la courbe donnant C (ou F) en fonction de l'angle de la manivelle.
Pour présenter les résultats, on peut utiliser deux modes de représentation graphique :

En résumé, le diagramme de pédalage est caractéristique du sujet. Nous dirons qu'il caractérise le « mode de pédalage » du cycliste. Il s'établit à partir de tests sur vélo ergocycle. Il ne peut pas s'établir par voie purement théorique.

Modélisation du pédalage

L'approche que nous allons faire maintenant est de donner une formulation analytique du diagramme de pédalage, non pas à partir de considérations théoriques mais à partir de l'examen des données expérimentales en ajustant une fonction mathématique aux résultats expérimentaux.
Pour simplifier cette fonction, nous supposerons que les minimums sont obtenus pour θ=0° et θ=180° et le maximum pour θ=90°. Les points morts correspondent donc à θ=0° et θ=180°.
On admettra aussi que lors de la remontée de la pédale, la force F est nulle.
Nous proposons la relation suivante pour estimer la force F lorsque l'angle θ varie de 0 à 180°:

FORMULE INTROUVABLE

Relation [1]              

En prenant n=3, cette fonction s'ajuste bien à la courbe expérimentale de la figure 7a comme le montre la figure. En revanche, il vaut mieux prendre n=2 pour le graphique de la figure 7b comme le montre la figure 4b.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.7a. Ajustement d'une courbe théorique à une courbe expérimentale avec n=3

FIGURE INTROUVABLE

Fig.7b. Ajustement d'une courbe théorique à une courbe expérimentale avec n=2 (ne convient que pour une jambe, la seconde jambe exige un autre ajustement)

Les paramètres H, V et n caractérisent donc le graphique de pédalage. Ce sont des paramètres propres à chaque cycliste.

A priori, cette formulation n'a pas de sens physique, c'est seulement un ajustement mathématique. Néanmoins, le paramètre H représente la valeur de la force lorsque la manivelle est aux points morts et le paramètre V représente la valeur de la force lorsque la manivelle est horizontale. On peut considérer alors que la force F provient de deux composantes illustrées sur la figure 8 :

On peut remarquer que si l'on avait n=1, la force F serait constante au cours d'un tour de manivelle, ce qui est impossible pour un cycliste qui ne peut pas fournir un couple constant comme le ferait un moteur électrique.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.8. Interprétation de la relation expérimentale

Expression du travail fourni

La formule [1] va permettre d'exprimer le travail W du couple moteur au cours d'un demi-tour du plateau. On rappellera que le travail d'un couple constant fourni lors d'une rotation d'un angle θ est égal à Cθ, donc pour un demi-tour de manivelle le travail est égal à πC ou encore à πmF si la force F est constante. Ce travail s'exprime en joules.
Comme le couple C varie lorsque la manivelle tourne, pour avoir le travail fourni durant un demi-tour, il faut intégrer la relation [1], d'où :

FORMULE INTROUVABLE

On peut démontrer que les intégrales

FORMULE INTROUVABLE

sont égales, le travail s'écrit alors :                W=m(H+V)I

L'intégrale I (dite intégrale de Wallis) a une solution analytique lorsque n est entier. Ainsi :

Le paramètre n pouvant ne pas être entier afin de mieux ajuster la représentation analytique à la courbe expérimentale, on adoptera la relation suivante pour représenter l'intégrale I lorsque n varie entre 2 et 3 :

I=0,0572 n²-0,5234 n +2,388

Le travail W fourni durant un demi-tour de manivelle est donc :

W=m(H+V)( 0,0572 n²-0,5234 n +2,388)            Relation [2]

Influence des paramètres H, V et n

Sur les graphiques 9, on a fait varier les paramètres H, V et n afin de voir comment ces paramètres influencent les courbes de pédalage.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.9a. Influence de la variation de H avec V=150N et n=2

FIGURE INTROUVABLE

Fig.9b. Influence de la variation de V avec H=30N et n=2

FIGURE INTROUVABLE

Fig.9c. Influence de la variation de n avec H=30N et V=150N

Expression de la puissance fournie

On rappellera que la puissance est égale au travail fourni par unité de temps. La puissance s'exprime en watt : un watt correspond à 1 joule par seconde. La relation [2] exprime le travail effectué lors d'un demi-tour de manivelle. Pour calculer la puissance, il faut donc connaître le temps mis pour faire un demi-tour de pédalier. On utilise couramment la cadence de pédalage N pour exprimer la vitesse de rotation du pédalier, cadence que l'on exprime en tours par minute. En 1 seconde, on a donc fait N/60 tours ou encore pour faire un tour, on met 60/N secondes, soit 30/N secondes pour un demi-tour. La puissance P moyenne au cours d'un tour de manivelle s'exprime finalement par la relation :

FORMULE INTROUVABLE

Relation [3]              

Il faut bien voir que cette puissance est la puissance moyenne car, dans le calcul, on a supposé que la vitesse de rotation était constante. Il est fort possible que la vitesse de rotation appelée aussi vitesse angulaire varie au cours d'un tour de manivelle. Il faudrait donc connaître la variation de l'angle θ en fonction du temps. Cette mesure est rarement donnée lors des tests en laboratoire.

Commentaire.

Comme le montrent les relations 2 et 3, le travail et la puissance sont proportionnels à H+V. Cela veut dire que si le cycliste diminue H d'une valeur donnée et augmente V de la même façon, il n'y aura aucune variation du travail et de la puissance et vice-versa.

Phases de pédalage

Nous avons rappelé succinctement au début de ce document les 4 phases qu'il est fréquent de distinguer dans le geste de pédalage. Cette distinction est basée sur le mouvement de la jambe et du mode de fonctionnement des muscles. D'un point de vue purement mécanique, nous proposons de ne distinguer que 2 phases en se basant sur les considérations explicitées ci-après.
Pour rouler à une vitesse constante, le cycliste doit exercer un couple moteur constant C qui équilibre le couple résistant. A partir de l'équation donnant la puissance à fournir en fonction de la vitesse (voir document « Le vélo en équation »), on peut établir la relation donnant le couple moteur en fonction de la vitesse :

FORMULE INTROUVABLE

Or on a vu que le couple exercé par un cycliste n'était pas constant lors d'un tour de manivelle. C'est donc le couple moyen exercé par le cycliste qui doit équilibrer le couple résistant.
Il en résulte que le couple moteur est tantôt inférieur au couple résistant tantôt supérieur. C'est pourquoi, nous distinguons les deux phases suivantes :

L'angle de séparation entre les deux phases est compris entre 40 et 50 degrés par rapport au point mort. Il n'est pas systématiquement de 45 degrés.
Quant au travail effectué par le cycliste, on voit sur la figure 11 où le travail est représenté par les aires colorées qu'il est fortement dissymétrique : le travail en zone excédentaire est très supérieur au travail en zone déficitaire.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.10. Les deux phases de pédalage

FIGURE INTROUVABLE

Fig.11. Répartition du travail dans les deux phases de pédalage

Modèle bio-mécanique du mouvement des jambes

L'approche que nous tentons maintenant sans grande prétention est un modèle mécanique du mouvement des jambes d'un cycliste. Les jambes peuvent être en effet considérées comme un système mécanique constitué de bielles (le fémur et le tibia), et de rotules ( la tête du fémur, le genou, la cheville).
Nous nous proposons d'examiner le modèle simplifié représenté sur la figure 12 et défini comme suit :

FIGURE INTROUVABLE

Fig.12. Modèle bio-mécanique

Nous utiliserons un repère cartésien Ox, Oy pour positionner les différents points du modèle.

On désignera par :

L'action du cycliste

Le mouvement de rotation de la manivelle est provoqué par deux mouvements de la jambe du cycliste :

Pour produire ces mouvements, le cycliste exerce deux couples indépendants l'un de l'autre:

Chacun peut constater que ces mouvements peuvent être exécutés de façon indépendante. Le pédalage résulte d'une combinaison de l'action de ces deux couples.
Le couple hanche sera désigné par Ch et le couple du genou par Cg

L'angle α

Il existe une relation entre l'angle θ et l'angle α. Cette relation est obtenue en écrivant que la distance GM, soit t', est égale à:

FORMULE INTROUVABLE

Cette relation s'écrit également:

(xg-xm)2+(yg-ym)2=t2+p2=t'2


soit

                  (xf+f cosα-m sin θ)² + (yf-f sinα-m cos θ)²=t²+p²                   Relation [4]

Cette équation permet de calculer l'angle α en fonction de l'angle θ. Elle n'a pas, à notre connaissance, de solution analytique. Il faut la résoudre par méthode numérique.
En prenant f=t=50 cm p=15 cm xf =-25 cm yf =80 cm et m=17 cm, le graphique de la figure 13 présente la variation de l'angle α en fonction de l'angle de manivelle θ.
L'angle α passe par un minimum et un maximum.
La valeur minimale αmin est donnée par la relation

FORMULE INTROUVABLE

s est la distance entre l'axe du pédalier et la tête du fémur. On a :

FORMULE INTROUVABLE

La valeur maximale αmax est donnée par la relation :

FORMULE INTROUVABLE

Avec les données adoptées, les valeurs minimale et maximale sont de 17 et 64 degré. L'amplitude du débattement est de 47 degré, elle varie en fonction de la morphologie du cycliste et du réglage de la selle.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.13. Variation des angles α et β avec la position de la manivelle

L'angle β

La valeur de l'angle β est donnée par la relation [5] (calcul fait à partir du triangle GFM):

FORMULE INTROUVABLE

La valeur maximale de β est

FORMULE INTROUVABLE

La valeur minimale de β est

FORMULE INTROUVABLE

Dans l'application numérique faite avec les données adoptées précédemment, la valeur maximale de β est de 144 degré et la valeur minimale est de 65 degré. Le débattement est donc de 79 degré. L'évolution de l'angle β en fonction de l'angle de manivelle est présentée sur la figure 13

Vitesses angulaires

Les mouvements de rotation à la hanche et au genou sont des mouvements alternatifs dont la vitesse est évidemment fonction de la vitesse de rotation au pédalier. Si l'on connaît la vitesse de rotation du pédalier, c'est-à-dire la vitesse angulaire de l'angle θ, on peut calculer la vitesse de rotation à la hanche et au genou. Ces vitesses se calculent à partir des relations suivantes :

FORMULE INTROUVABLE

Les valeurs de dα/dθ et dβ/dθ se calculent à partir des relations [4] et [5]. Ce sont les dérivées des valeurs de α et β par rapport à θ. Ces dérivées ne peuvent pas s'exprimer simplement. Le calcul doit être fait par une méthode numérique.
dθ/dt est la vitesse angulaire du pédalier.
Dans l'application numérique ci-après, on supposera que le pédalier tourne à la vitesse constante de 1 tour par seconde, soit 2π=6,28 radian par seconde.
On remarquera que ces courbes ne sont pas dissymétriques lors de l'extension et de la flexion, notamment celle de la hanche. On remarquera aussi que la vitesse angulaire au genou est plus grande qu'à la hanche, ce qui est logique puisque le débattement au genou est plus grand et ce qui peut laisser supposer une usure plus importante du genou que de la hanche lors de la pratique du vélo.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.14. Vitesses angulaires à la hanche et au genou

Couple moteur dû au couple hanche

Le couple Ch exercé par le cycliste dû surtout à l'action des muscles du cycliste mais entrent aussi en compte le poids de le jambe qui monte et descend ainsi que les forces d'inertie ou l'énergie cinétique car le mouvement des cuisses est une succession d'accélération et de décélération.

FIGURE INTROUVABLE

Fig.15. Couples exercés à la tête du fémur et à la rotule du genou

Ce couple Ch va transmettre au pédalier un couple que nous appellerons couple moteur Cmh et que l'on peut calculer ainsi :

Cela se traduit par les relations suivantes :

D'où finalement :

FORMULE INTROUVABLE

Couple moteur dû au couple genou

De même, si le cycliste exerce un couple Cg au genou , ce couple engendrera un couple Cmg au pédalier. Il se calcule ainsi (voir figure 15 à droite):

Cela se traduit par les relations suivantes:

D'où :

FORMULE INTROUVABLE

Diagramme théorique de pédalage

Le couple final exercé au pédalier sera la somme des deux couples fémur et rotule, d'où :

FORMULE INTROUVABLE

Pour tracer le diagramme de pédalage, il faut connaître les valeurs des couples hanche et genou que le cycliste exerce. Celui-ci a, en principe, entière liberté pour exercer ces couples comme il le souhaite ou comme il le peut. Les couples ne sont évidemment pas constants tout au cours d'un tour de manivelle. Ils s'annulent lorsque le membre passe d'une extension à une flexion ou vice-versa, mais il n'est pas réaliste de penser que ces couples puissent tomber brutalement à zéro.
Par ailleurs, dans les phases de flexion, c'est-à-dire lorsque le fémur remonte ou le tibia revient, on peut estimer que les couples sont nuls sauf dans le cas où le cycliste est équipé de pédales automatiques. Dans ce dernier cas, chiffrer la valeur des couples dans les phases de flexion ne peut être fait qu'à partir de mesures expérimentales mais ces couples sont probablement bien plus faibles que ceux fournis dans les phases d'extension.
Dans l'application numérique présentée sur la figure 16, pour simplifier, nous avons supposé les couples constants: Ch = 250 N-m et Cg=50 N-m.
Les mêmes données que précédemment caractérisant la morphologie du cycliste ont été conservées. On a admis que les couples s'exerçaient sans pédale automatique, c'est-à-dire qu'une traction sur les pédales n'était pas permise.
Le diagramme est relatif à l'action des deux jambes. Sur ce diagramme, outre le couple total exercé au pédalier, on a fait figurer le couple dû à l'action du fémur (couple hanche) et celui dû à l'action de la rotule (couple genou).

FIGURE INTROUVABLE

Fig.16. Exemple de diagramme fictif de pédalage résultant du modèle bio-mécanique

Le travail W fourni au pédalier est égal à l'intégrale :

FORMULE INTROUVABLE

En désignant par N la cadence exprimée en tour par minute, la puissance moyenne P en watt est égale à :

FORMULE INTROUVABLE

Avec les valeurs retenues pour les couples, en estimant que la cadence N est de 60 tours par minute, on peut calculer que la puissance fournie est de 215 watt.
Malgré les hypothèses simplificatrices adoptées, on peut constater que le diagramme n'est pas fondamentalement très différent des diagrammes expérimentaux.

Conclusion

Les deux types d'analyse du mouvement de pédalage, très différentes l'une de l'autre, conduisent toutes les deux à quantifier le pédalage comme une combinaison de deux actions : une poussée horizontale induite par l'extension de la rotule et une poussée verticale induite par l'extension du fémur.
Pour qu'un cycliste roule à une vitesse donnée, si la somme de ces deux actions exige de fournir une quantité d'énergie que l'on peut calculer à partir des lois de la mécanique, en revanche ces mêmes lois ne peuvent pas définir le dosage de chacune de ces deux actions. Pour cela, il faut probablement rentrer dans le domaine de la biologie, domaine hors de notre compétence. On peut seulement imaginer que le cycliste obéit à la loi du « moindre effort » en adaptant instinctivement le dosage pour que le pédalage soit le plus facile possible.



Références

[1] Thomas Lihoreau. Projet de fin d'études. « Analyse du geste de pédalage » 2007. Université de Franche Comté. Besançon

[2] Nicolas Rambier. Mémoire Master. « Effet de l'utilisation du plateau O'Symétric sur la performance du cycliste ». Université de Franche Comté.UPFR des Sports.Besançon. 2013