La pression de gonflage des pneus

Jacques Fine.
Juin 2017
contact@velomath.fr
http://www.velomath.fr


On recommande toujours à un cycliste de bien gonfler ses pneus. Mais que veut dire « bien gonfler » ?, mettre la pression la plus forte admissible, respecter une valeur bien précise donnée par le fabriquant. En cas d’une pression inadaptée, quelles en sont les conséquences ?
La pression de gonflage d’un pneu a des effets de nature différente :

Ce document a surtout pour objectif l’analyse du premier point cité ci-dessus : l’influence sur la résistance au roulement, problème qui peut faire l’objet d’une approche mathématique quantitative, les autres problèmes restant plus dans le qualitatif.

Le contact pneu-sol

L’analyse du problème passe par l’examen du contact entre les pneus et le sol. Les pneus, tout comme le sol mais celui-ci dans une mesure généralement bien plus faible lorsqu’il s’agit d’une chaussée bitumée, sont des solides déformables. Il s’ensuit que lorsqu’une roue roule sur un sol, à l’avant de la zone de contact pneu-route, il y a formation d’un « bourrelet ». Ce bourrelet crée une résistance qu’il faut vaincre si l’on veut avancer. Cette résistance porte le nom de « résistance au roulement » mais on parle aussi de « résistance de frottement au glissement » car, comme on va le voir, cette résistance est analogue à celle induite par un frottement.
La figure 1A illustre un pneu peu gonflé sur une chaussée bitumée et qui s’aplatit sur une longueur importante tandis que la figure 1B illustre un pneu bien gonflé sur un sol peu cohérent comme par exemple un VTT roulant sur un sentier sablonneux.

fig1

La charge W exercée sur le moyeu de la roue engendre une réaction du sol s’exerçant sur le pneu, comme l’illustre la figure 2. Cette réaction se répartit sur une certaine surface, elle n’est pas ponctuelle. De plus, elle n’est pas uniforme sur cette surface et présente une dissymétrie. La résultante R de cette réaction s’applique en un point M situé entre A et B.

fig1

Analysons plus en détail l’équilibre des forces (voir figure 3). La composante horizontale T est une force résistante qu’il faut vaincre pour que la roue puisse avancer. Il faut donc exercer sur la roue en O une force motrice F pour vaincre T.
A tout instant, il faut qu’il y ait équilibre entre les forces motrices et les forces résistantes, ce qui implique :

On en déduit :

fig1

Le rapport δ/r est le coefficient de résistance au roulement. Nous l’avons désigné par f dans l’ensemble de nos documents. La loi T=f W est analogue à la loi d’un glissement avec frottement. C’est pourquoi, nous avons aussi désigné f par « coefficient de frottement pneu-chaussée ». On a donc :

fig1

fig1

Il peut être intéressant de connaître la puissance P qu’il est nécessaire de fournir pour vaincre uniquement la force T. Si l’on roule à la vitesse V exprimée en m/s, le point M se déplacera à cette vitesse. La distance parcourue en 1 seconde sera donc égale à V m, le travail fourni en 1 seconde, donc la puissance P exprimée en watt, sera égale à VT d’où la relation :

fig1

Si l’on exprime V en km/h et W en kg, la relation s’écrit :

fig1

Le coefficient f

Pour estimer le coefficient f, il suffit de connaître r, rayon extérieur du pneu, ce qui ne présente pas de difficultés, et δ, c’est-à-dire la position du point M. Cette position n’est pas facile à connaître par une méthode simple. Il ne faut pas commettre l’erreur de confondre le point M et le point B. Certains proposent de glisser une feuille de papier sous la roue jusqu’au moment où elle bute sur B : cela permet de mesurer AB et non pas δ.
C’est pourquoi, plutôt que de passer par la détermination de δ, il vaut mieux mesurer le coefficient f plus directement. Une méthode accessible à tous est celle du test dénommé « test de décélération » présenté dans un autre document de ce site et qui permet en principe de mesurer f dans des conditions réelles de route. On peut aussi utiliser des capteurs de puissance notamment sur home-trainer mais, dans ce cas, on s’éloigne des conditions de route.
Les facteurs essentiels influençant la valeur de δ sont :

Influence du sol

La nature du sol a évidemment une grande influence. Nous sommes amenés à distinguer 2 cas.

Pression de gonflage

Reprenons un vélo de route, roulant sur revêtement standard. Il est parfaitement évident qu’une faible pression de gonflage va augmenter la surface de contact entre le pneu et le sol, donc augmenter la valeur de δ et la valeur du coefficient de roulement f. Pour avoir une idée de la valeur de cette augmentation, la meilleure méthode est de faire des tests pour mesurer le coefficient f.
Etant donné que l’on cherche à connaître f avec précision, les conditions du test doivent être très rigoureuses, sinon les résultats peuvent être faussés par des artefacts tels que l’influence du vent ou celle d’une pente non nulle de la route.
Dans la bibliographie disponible sur Internet, nous avons trouvé les résultats d’un test qui nous paraît avoir été réalisé avec beaucoup de rigueur (Référence : « Influence de la pression de gonflage sur la résistance de roulement en cyclisme ». F. Grappe, R. Candau, B. Barbier et J.D. Rouillon. XXI ème Congrès de Biomécanique. Nancy 23-25 sept 1996).
Les essais ont été effectués suivant la méthode de décélération. Ils ont été réalisés en intérieur, dans un couloir de 80 m de longueur revêtu d’un carrelage, avec un cycliste pesant 67 kg. La figure 5 présente les résultats obtenus. L’auteur a fourni la courbe donnant la force Rr à exercer pour vaincre la résistance au roulement en fonction de la pression de gonflage Pr. Pour obtenir le coefficient de résistance au roulement f, il faut diviser Rr par le poids de l’ensemble vélo-cycliste, soit 750 Newtons dans le cas présent. Le coefficient f varie de 0.008 pour Pr=1.5 bars à 0.004 pour des pressions plus élevées.

fig1

Interprétation des résultats

Nous allons chercher à ajuster une fonction reliant la force de résistance au roulement à la pression de gonflage en se basant sur des considérations physiques et non pas en cherchant à ajuster une fonction purement mathématique aux résultats expérimentaux comme cela a été fait sur la figure 5.
Nous proposons l’analyse suivante basée sur trois hypothèses :

Avec les hypothèses ci-dessus, on peut alors écrire que la surface sur laquelle s’exercent les forces de réaction du sol est liée à la distance δ par une relation du type :

fig1

et que S est lié à la pression de gonflage par une relation du type

fig1

Il en résulte que la distance δ doit être liée à la pression de gonflage par une relation du type :

fig1

Comme la force de résistance au roulement est proportionnelle à δ, on en conclut donc que cette force doit être liée à la pression de gonflage par une relation du type :

fig1

Il ne reste plus qu’à confronter ce résultat aux mesures expérimentales.
Pour cela, on a déterminé les coefficients α et β par une méthode des moindres carrés et l’on a obtenu :

α=0.8342
β =53.258

La courbe correspondant à la relation

fig1

est présentée sur la figure 6. L’ajustement paraît être très satisfaisant.

fig1

Pour passer de la résistance au roulement Rr exprimée en Newton au coefficient de résistance au roulement f (que nous avons souvent désigné par coefficient de frottement chaussée-pneu), il suffit de diviser Rr par le poids cycliste/vélo, soit ici 750 Newtons. la figure 7 présente la courbe donnant f en fonction de la pression de gonflage p.

fig1

Remarque importante sur la largeur des pneus.

Dans l’interprétation ci-dessus, on a vu que la surface sur laquelle s’exercent les forces de réaction est proportionnelle au produit ab (voir figure 5). On peut penser que, pour un poids et une pression de gonflage identiques, cette surface reste constante si la largeur du pneu varie un peu. On en déduit que, si la largeur b augmente, la distance a va diminuer, que la distance δ va aussi diminuer et par conséquent le coefficient de résistance au roulement qui est fonction seulement de δ va lui aussi diminuer. Un pneu de 25 aurait donc un coefficient de roulement plus faible qu’un pneu de 23. Cela va dans le sens de la vogue actuelle où les pneus très étroits ne sont plus recommandés.

Quelle conséquence sur la vitesse ?

La meilleure façon de voir l’influence d’une variation du coefficient de résistance au roulement f est d’utiliser le calculateur en ligne proposé sur ce site et qui permet de calculer la vitesse d’un cycliste dont on indique la puissance qu’il fournit.
Avec les données suivantes :

on obtient la courbe représentée sur la figure 8 donnant la vitesse en fonction de la pression de gonflage.

fig1

Si l'on s'intéresse à la puissance nécessaire pour vaincre la résistance au roulement, avec les données précédentes, on obtient les valeurs du tableau ci-dessous, montrant l'augmentation de la puissance lorsque l'on dégonfle le pneu:

fig1

Cependant, en passant de 7 bars à 4 bars, la différence de puissance est de 7 watts, ce n'est pas considérable.

Conclusions

La valeur de la pression de gonflage des pneus a des influences de nature diverse, notamment sur la puissance à fournir par le cycliste, sur le confort du cycliste, sur le risque de crevaison. Le choix de la pression peut être un compromis en fonction de l’objectif prioritaire retenu.
Dans l'étude présentée, l'analyse des forces mises en jeu permet de mieux comprendre l'origine de la résistance au roulement mais, si l’on veut quantifier cette résistance, il sera toujours nécessaire d’effectuer des tests. Bien que cette étude souffre d'un manque de tests divers sur plusieurs types de revêtement et sur des modèles de pneus variés, les conclusions auxquelles on aboutit sont celles que le bon sens pouvait laisser prévoir, à l’exception peut-être du fait que plus un pneu est étroit, plus il offre de résistance alors que le contraire paraissait être la règle dans les dernières décennies.
Sur le plan pratique, pour un cyclotouriste sur route qui aime le confort, gonfler un pneu de 23 ou 25 à 4 bars alors que le fabriquant préconise plutôt 6 à 8 bars, ne doit pas conduire à une situation très pénalisante en ce qui concerne l’augmentation de l’effort à fournir.





Haut de page Accueil du site